mercredi 22 juin 2011

Nous vivons sous le régime de l'oligarchie financière

La séparation des pouvoirs est institutionnelle, mais reste en grande partie théorique. Dans la pratique, la classe dominante cumule toutes les formes de pouvoir. Ses membres, au coeur de l'Etat, des grandes entreprises, des banques, de l'armée, des arts et des lettres, entretiennent des relations assez proches pour que chacun, dans sa sphère d'influence, puisse décider dans le sens des intérêts de la classe.

La France des héritiers ne peut avancer sous l'étendard de l'héritage. La culture, le mérite, le droit sont appelés à la rescousse. Les châteaux privés, classés monuments historiques, sont un exemple de cette alchimie à l'oeuvre. Les procédures de classement utilisent à la fois le juridique et l'esthétique pour asseoir la légitimité des propriétaires. Les intéressés sont persuadés d'être dans le domaine de la défense du bien commun. Un château classé a, comme une bourgeoise élégante, de la classe. Le classement est la sélection de ce qui, social matérialisé dans les bâtiments ou incorporé dans les personnes, mérite de survivre dans la mémoire des hommes et dans les paysages des villes et des campagnes.

Les faveurs fiscales de la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat de 2007 (TEPA), avec une baisse sans précédent de la fiscalité sur les successions et les donations, profitent aux plus aisés. Ces faveurs manifestent l'importance accordée aux dynasties familiales fortunées, qui inscrivent l'excellence sociale dans le temps long de la lignée et qui accaparent les privilèges sur plusieurs générations.

La notion de patrimoine, ensemble des biens transmissibles, est en phase avec les outils juridiques issus de la financiarisation. Ainsi la société holding, qui permet l'accroissement des richesses au sein de la famille, en même temps que le contrôle d'entreprises par celle-ci, organise la transmission générationnelle en lui assurant de solides avantages fiscaux. Les affaires des familles Bolloré, Arnault ou Pinault, pour ne citer que quelques amis du président, sont structurées de cette manière.

La famille Wildenstein a utilisé un outil juridique anglo-saxon, le trust, pour assurer la transmission d'un important patrimoine composé d'oeuvres d'art de grande valeur, avec des tableaux de Picasso, Bonnard, Van Gogh. Des trusts ont été créés dans des paradis fiscaux auxquels Daniel Wildenstein, mort en 2001, a confié une part importante de son patrimoine. Hervé Morin, alors ministre de la défense, a justifié l'existence de ces trusts par la volonté d'éviter la dispersion des collections. Les Wildenstein sont une dynastie de marchands d'art qui en est à la cinquième génération. Guy Wildenstein est un ami de Nicolas Sarkozy, l'un des fondateurs de l'UMP et l'un des généreux donateurs réunis dans le "premier cercle".

Label d'utilité publique

Le petit monde des grandes fortunes a toujours été celui des collectionneurs. Ce goût pour l'art et le rôle de mécène ont permis de rendre légitimes des fortunes colossales sans commune mesure avec le travail dont elles étaient censées être le fruit. La culture donne aux grandes richesses le label d'utilité publique chargé de rendre supportable l'accumulation de l'argent à un seul pôle de la société en transformant l'arbitraire de l'héritage en mérite. Le capital symbolique lié à ces investissements artistiques vient parachever la force de la dynastie familiale dans une immortalité symbolique qui se concrétise, dans un musée comme le Louvre, par des plaques de marbre où sont gravés les noms des donateurs ou avec l'ouverture à la visite de leurs châteaux classés.

Malgré la mondialisation, l'oligarchie continue à coopter des dynasties. Les familles de l'aristocratie de l'argent gèrent leurs dynasties dans une forme de collectivisme pratique qui met ensemble les ressources de chacun pour décupler une force commune qui permet de maintenir et de développer un libéralisme économique toujours plus déréglementé.

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot

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